Comment la Hongrie de Viktor Orban cherche à renouer les liens avec Paris

Georges de Habsbourg-Lorraine, petit-fils du dernier empereur d'Autriche-Hongrie, vient d'être nommé ambassadeur de Hongrie en France. Face aux sévères reproches adressés au gouvernement Orban sur le respect de l'Etat de droit, le diplomate renvoie aux juges de Luxembourg.

« Je suis arrivé à Paris il y a trois semaines, le confinement rend la vie un peu plus compliquée, bien évidemment, mais enfin comme j'ai beaucoup de travail, ce n'est pas très grave. » En ce 25 mars qui marque le 64e anniversaire du traité de Rome, Georges de Habsbourg-Lorraine énumère tout ce qui l'occupera dans les prochains mois : « la conférence sur le futur de l'Europe ; le 1er juillet la Hongrie prend la présidence tournante du groupe de Visegrad [forum de coopération entre quatre pays d'Europe centrale, NDLR] ; le 1er janvier commence la présidence française de l'Union européenne et en 2022 auront lieu les élections en France et les législatives hongroises. »

La nomination à Paris d'un petit-fils de Charles Ier, dernier empereur d'Autriche-Hongrie, a été remarquée. Naturellement par les gazettes spécialisées en têtes couronnées : la maison impériale des Habsbourg-Lorraine a régné sur une large partie du continent pendant près de deux siècles.

Mais aussi par les chancelleries : quel message Viktor Orban, Premier ministre hongrois depuis 2010, surnommé « le dictateur » par Jean-Claude Juncker, l'ancien président de la Commission européenne, a-t-il voulu envoyer ? Déploie-t-il une diplomatie Habsbourg, alors qu'il a déjà dépêché au Vatican, en 2015, Edouard de Habsbourg-Lorraine, cousin de Georges ? Cherche-t-il à renouer avec Emmanuel Macron, après une année 2020 pesante, pendant laquelle Budapest et son allié Varsovie ont exaspéré leurs partenaires, refusant par exemple de conditionner le versement des aides européennes au respect de l'Etat de droit ?

Connexions

« Ce nouvel ambassadeur va attirer l'attention à Paris, ce qui peut ouvrir de nouveaux canaux de communication avec l'Elysée, les décideurs publics et les relais d'opinion, estime Milan Nic, chercheur de la DGAP (Institut allemand de politique étrangère). Et Orban a besoin d'améliorer sa relation avec Emmanuel Macron, qui gagnera en poids sur la scène européenne après le départ d'Angela Merkel cet automne. »

Pour Andreas Bock, de l'ECFR (Conseil européen pour les relations internationales), le nouvel émissaire est déjà bien connecté : « Il entretient de très bons rapports avec de nombreux décideurs hongrois, notamment Gergely Gulyas, l'influent directeur de cabinet de Viktor Orban. » L'ambassadeur a fait la connaissance de l'actuel premier ministre dès les années 1990, quand il s'est installé près de Budapest.

Commentant ses nouvelles fonctions, Georges de Habsbourg-Lorraine, 56 ans, préfère, en préambule, mettre en avant ses liens nombreux avec la France - l'évidence du berceau lorrain. « Mon père et ma mère se sont mariés à Nancy en 1951 en des temps difficiles, où mon père Otto ne pouvait pas retourner en Autriche ni dans aucun autre pays d'Europe centrale. On y a célébré le cinquantième anniversaire de leur union, avec une forte participation de la population locale. » L'ambassadeur mentionne un autre point de contact avec la France, la Bourgogne : « L'ordre de la Toison d'or, fondé par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, est naturellement le plus important pour ma famille. »

Liens économiques

Le Hongrois - qui possède aussi un passeport autrichien - rappelle ensuite qu'il a beaucoup travaillé avec son père Otto, disparu en 2011, « eurodéputé de 1979 à 1999, grand admirateur de la France, militant acharné de la francophonie dans les institutions européennes ». Lui-même, né en Bavière, sur les rives du majestueux lac de Starnberg, a eu l'allemand pour langue maternelle. « Mais aussi l'espagnol car mes parents possédaient une maison en Espagne, où nous passions beaucoup de temps. »

Il s'est mis au français très rapidement : « Beaucoup de mes cousins vivaient en France ou en Belgique. » Le nouveau représentant de Budapest insiste ensuite sur l'importance de cultiver les liens économiques entre la France et la Hongrie, où « 500 entreprises hexagonales sont installées et donnent du travail à 40.000 Hongrois ».

Mais vient un moment où il faut aborder tout ce que les Européens reprochent à Viktor Orban, leader du parti (très) conservateur Fidesz et apôtre d'une démocratie illibérale - décorrélée du libéralisme politique -, décrite par le philosophe néerlandais Luuk van Middelaar comme une « dictature électorale », dans laquelle le verrouillage du système politique, les atteintes à la pluralité de la presse et l'affaiblissement de la justice obèrent les chances d'une alternance. Le parlement européen a réclamé l'an dernier des sanctions contre Budapest.

L'ambassadeur, sans se départir d'une courtoisie qu'on imagine héréditaire, se fait alors beaucoup plus offensif : « On ne peut pas accepter que des gens disent que nous n'avons pas d'Etat de droit. La Hongrie est une démocratie, il est ridicule de prétendre le contraire. Lors des élections, nous sommes scrutés par les institutions européennes, la Commission de Venise, de nombreux observateurs. La vérité, c'est que lors des trois dernières législatives, le Fidesz a gagné et a gouverné, c'est ça la démocratie. »

Au sujet de l'Europe, même certitude : « Les Hongrois sont heureux de faire partie de l'Europe, je ne connais aucun responsable politique qui souhaite en sortir. » Georges de Habsbourg-Lorraine, qui n'est pas membre du Fidesz, reconnaît de grandes différences entre la vision européenne d'Emmanuel Macron et celle de Viktor Orban. « Mais je voudrais souligner qu'il y a un mot crucial du traité de Maastricht qu'on n'utilise pas assez : subsidiarité. Elle est dans les traités, il faut s'en préoccuper. »

Juges de Luxembourg

Le diplomate ne conteste pas l'existence de dissensions entre Européens, « mais si on ne trouve pas de solution à une dispute, alors on saisit la Cour de justice de Luxembourg. Vous ne trouverez aucun cas où la Hongrie n'a pas accepté une décision de la Cour. »

Le diplomate, qui a étudié le droit et les sciences politiques, manifeste un grand respect pour les juges de Luxembourg. Il voit dans la CJUE une lointaine héritière d'un concept inventé par ses ancêtres, la Reichsidee : « On traduit parfois par idée impériale, mais ça ne rend pas bien le concept qui désigne un système de droit supranational, au-dessus des nations, des langues, des religions, des ethnies, qui permet de résoudre un conflit entre deux groupes avant qu'il ne dégénère. »

Il se trouve que la Hongrie et la Pologne ont déposé le 11 mars un recours devant la Curia contre les mécanismes de conditionnalité attachés au versement des fonds communautaires, arguant que l'Union n'a pas la compétence pour définir la notion d'Etat de droit. En sens inverse, la semaine dernière, la Commission européenne a attaqué une loi polonaise de 2020 sur le pouvoir judiciaire qui, selon elle, porte atteinte à l'indépendance des juges. Beaucoup de choses cruciales vont se jouer à Luxembourg dans les mois qui viennent.

Par Karl De Meyer