Un Habsbourg ambassadeur de Hongrie en France

Par Jean Sévillia

ENTRETIEN - Descendant d’une dynastie qui a régné sur l’Europe centrale, le nouvel ambassadeur de Hongrie, Georges Habsbourg-Lorraine, arrive à Paris en Européen convaincu.

Nommé ambassadeur de Hongrie en France en décembre 2020, Georges Habsbourg-Lorraine vient de prendre ses fonctions. Cet homme de 56 ans, marié et père de trois enfants, titulaire de la double nationalité hongroise et autrichienne, est le petit-fils du dernier empereur d’Autriche et roi de Hongrie, Charles Ier (Charles IV en Hongrie), et de son épouse l’impératrice Zita, et le fils cadet d’ Otto de Habsbourg, disparu en 2011 , qui avait été pendant vingt ans parlementaire européen et était une figure très connue en France. Selon la tradition dynastique européenne, il est Son Altesse Impériale et Royale l’archiduc Georges d’Autriche, prince de Hongrie, de Bohême et de Croatie, mais ces titres sont interdits en Autriche (où son passeport est établi en allemand au nom de Georg Habsburg-Lothringen) comme en Hongrie (où il s’appelle en hongrois Habsburg-Lotaringiai György). Ce citoyen d’aujourd’hui exerce une profession comme tout le monde. Après des études de droit, d’histoire et de sciences politiques menées en Autriche, en Allemagne et en Espagne, il a commencé par travailler pour des sociétés de télévision ou de communication. Fixé en Hongrie en 1992, il est devenu ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de ce pays en 1996, et a exercé différentes fonctions, dont la présidence de la Croix-Rouge hongroise. Georges Habsbourg-Lorraine, comme son père avant lui, parle l’allemand, le hongrois, le français, l’espagnol, l’anglais et l’italien.

Si vous deviez présenter la Hongrie en quelques mots, comment définiriez-vous les principaux traits de caractère de votre pays?

La Hongrie est un État millénaire, placé par sa position géographique au centre de l’Europe. Cet État, héritier d’une longue et riche histoire et porteur d’une culture saluée dans le monde entier, tout en étant fier de cet héritage et de ses traditions, est un pays moderne, tourné vers l’innovation technologique, et qui aspire à attirer des investisseurs internationaux.

Comment votre pays fait-il face à la pandémie de Covid-19?

Nous avons les mêmes problèmes que tout le monde. Mais comme nous avons eu tout de suite la conviction que l’épidémie ne serait combattue avec efficacité que par le vaccin, nous avons très vite discuté avec les pays producteurs de façon à élargir notre approvisionnement, outre notre dotation par l’entremise de l’Union européenne. En Hongrie, pays de 10 millions d’habitants, nous avons chaque jour 100 à 150 personnes qui meurent de la Covid, et cette pandémie nous coûte quotidiennement entre 30 et 35 millions d’euros. Cette urgence nous a conduits à acheter des vaccins à la Russie et à la Chine .

Pouvez-vous rappeler les liens historiques entre la Hongrie et la France?

Mille ans d’histoire lient nos deux pays. Les destinées de nos peuples se sont souvent croisées. Je songe notamment à la fondation de l’État hongrois, en l’an 1000, lorsque le roi saint Étienne a reçu sa couronne du pape Sylvestre II, le Français Gerbert d’Aurillac. Je pense encore au règne de la dynastie angevine sur la Hongrie médiévale, à l’alliance du prince Rákóczi avec Louis XIV lors de la guerre d’indépendance de 1707, à l’influence des idées françaises sur «l’ère des réformes», en Hongrie pendant la première moitié du XIXe siècle. Je pourrais encore évoquer la pénétration de la culture française au sein des élites hongroises à travers l’art, la littérature, la science, la technique, la musique. Il existe donc de nombreux points communs entre nos pays à travers l’Histoire. Bien sûr, nos chemins ont aussi divergé dans le cadre des grands affrontements européens, lorsque la France se heurtait à l’Autriche à laquelle la Hongrie était attachée. Mais cela, précisément, c’est du passé, puisque nos deux nations tiennent à l’ancrage européen qui nous réunit.

Comment se portent les relations entre la Hongrie et la France aujourd’hui?

Les relations bilatérales entre nos pays se sont réellement construites il y a une trentaine d’années, après l’effondrement du régime communiste. En 2008, un partenariat stratégique a été conclu entre la France et la Hongrie afin de renforcer leurs relations. Nos gouvernements respectifs ont des échanges réguliers, à la fois sur le plan bilatéral ou en marge des sommets européens. Il existe également des échanges au niveau des Parlements des deux pays. Cependant il faut se féliciter, en outre, des fructueuses relations entre professionnels français et hongrois dans plusieurs domaines. La France est le quatrième investisseur étranger en Hongrie. Dans des secteurs comme l’industrie, l’énergie, l’agroalimentaire, la pharmacie, la distribution ou la finance, de grands groupes multinationaux d’origine française comme Auchan, Groupama, Valeo, PSA ouMichelin sont implantés en Hongrie. Au cours des dernières années, des PME ou des entreprises de taille intermédiaire françaises ont été de plus en plus nombreuses à investir en Hongrie. Au total, environ 600 sociétés françaises sont présentes chez nous, fournissant du travail à 40 000 personnes. Des entreprises françaises comme Dalkia, Sanofi-Aventis, Egis, Schneider Electric, Servier Hungaria et Le Bélier font partie des partenaires stratégiques du gouvernement hongrois. Au cours de mon cursus professionnel en Hongrie, j’ai rencontré beaucoup de dirigeants de ces sociétés françaises qui étaient très satisfaits de leur investissement dans mon pays, et qui voulaient même augmenter leur implantation. Cet aspect des relations franco-hongroises est très positif, mais on en parle bien peu, malheureusement. Concernant la Hongrie, il existe une profonde différence entre ce qu’on publie dans la presse et la réalité sur place. Mieux exposer ce qui se passe chez nous fera partie de mes devoirs d’ambassadeur.

La Hongrie est membre de l’Union européenne depuis 2004. Mais depuis les années 2014-2015 environ, les orientations de son gouvernement ont conduit à une série de tensions ou d’incidents avec les dirigeants européens. Quelle vision de l’Europe la Hongrie défend-elle?

Au Moyen Âge, quand le roi Étienne a décidé de demander la couronne à Rome et non à Byzance, il a fait un choix. Ce choix était celui de l’Ouest. La Hongrie est un pays d’Europe centrale, mais elle appartient, culturellement, au monde de l’Ouest. L’idée européenne est donc depuis toujours dans l’ADN des Hongrois. Prétendre que la Hongrie s’oppose à l’Europe est faux. On constate d’ailleurs, dans toutes les enquêtes d’opinion effectuées chez nous, que la grande majorité du peuple magyar approuve notre appartenance à l’Union européenne, et considère même que celle-ci est une clé de l’avenir. Les Hongrois, sans aucun doute, sont proeuropéens et partisans d’une Europe forte.

Cependant non seulement l’Europe s’est élargie, mais elle est en train de changer par rapport au projet initial lancé quand nous, pays de l’Est, en étions écartés du fait de la division du continent entre le monde libre et le monde communiste. Or, certaines pratiques ou certaines décisions récemment observées au sein de l’Union ne nous paraissent pas conformes au projet des pères fondateurs de l’Europe. Un mot-clé de ces derniers était le principe de subsidiarité, selon lequel une autorité centrale ou fédérale n’est pas en droit d’effectuer les tâches qui peuvent être réalisées à l’échelon inférieur. Pour nous, il est très important que l’Europe se développe selon les principes définis dans les traités. La subsidiarité, précisément, répond à de nombreuses questions dans l’Union européenne dont les institutions n’ont pas à s’immiscer dans les secteurs qui ne relèvent pas de sa compétence. Les États, les régions, les villes ou les familles ont leur droit de décision dans le domaine qui leur est propre, et il importe de respecter ce droit. Avec la France, nous partageons la même vision, au sein de l’Union européenne, sur des sujets comme le climat,  l’énergie nucléaire, la défense. Dans d’autres domaines, nos points de vue diffèrent, ce qui crée quelquefois des problèmes et des discussions. Mais justement, les instances européennes sont là afin de permettre de discuter entre États membres.

Les points d’achoppement se sont multipliés au cours des dernières années. Traitement des migrants, conception de la famille, invocation des racines chrétiennes, «illibéralisme», état de droit, liberté de la presse, valeurs: autant de thèmes sur lesquels la politique du gouvernement hongrois est décriée. Que répondez-vous à ces critiques?

Sur chacun de ces sujets, je pourrais répondre en détail. Plus généralement, je rappelle que la Hongrie est un État démocratique. Ce sont les électeurs qui ont donné une large majorité au chef du gouvernement, M. Viktor Orbán, en 2010, et qui lui ont renouvelé leur confiance en 2014 et en 2018. Ensuite, ceux qui reviennent de manière persistante sur ces critiques en négligeant tout le reste oublient que la Hongrie est un membre de l’Union européenne, et que tous les membres de l’Union ont la même dignité. Notre nouvelle Constitution, promulguée en 2012, a été pensée en fonction des Constitutions des autres États européens, et pesée mot par mot après cette étude et au regard du caractère national de la Hongrie.

Face aux critiques, nous nous sommes toujours expliqués, et quand le désaccord a persisté, nous sommes allés devant la Cour de justice européenne, mais il n’y a aucun cas où la Hongrie n’a pas respecté les avis de celle-ci. Encore une fois, la Hongrie est un membre de la famille européenne, et ne prend ses décisions qu’en accord avec les idées des fondateurs de l’Europe. Nous travaillons très bien, au sein du groupe de Visegrad, avec la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, car ces pays ont avec nous la volonté de jouer un rôle constructif au sein de l’Union européenne, tout en rappelant que l’Europe centrale possède sa propre histoire, ses valeurs, ses traditions et ses conceptions politiques et sociales qui doivent aussi être représentées à Bruxelles.

Être le petit-fils du dernier roi de Hongrie et le fils d’Otto de Habsbourg, qui était une personnalité unanimement respectée en Europe, est-il un avantage pour être ambassadeur de Hongrie?

Sûrement, car il y a deux choses que je n’ai pas besoin d’expliquer. D’abord que je suis un Européen convaincu, car un Habsbourg antieuropéen, cela n’existe pas. Et si je suis représentant de la Hongrie, c’est bien parce que je suis certain que ce pays est proeuropéen. Ensuite je n’ai pas à expliquer que je suis catholique et que mes valeurs personnelles et familiales sont celles du christianisme. Mon grand-père, l’empereur et roi Charles Ier (Charles IV en Hongrie), a été béatifié par Jean-Paul II en 2004, et cela a du sens pour moi. Mais mon grandexemple, c’est mon père, qui a tant fait pour l’Europe.

Quel a été votre sentiment lorsque vous avez appris votre nomination à Paris?

La joie. Ce poste dans la capitale d’un grand pays qui joue un rôle moteur en Europe était d’abord un honneur pour moi. Travailler à Paris s’inscrivait également dans mon héritage familial. Pendant la Première Guerre mondiale, mon grand-père, empereur d’Autriche et roi de Hongrie, avait tendu la main à ses adversaires, en 1917, en ouvrant secrètement avec les Français et les Anglais des négociations de paix qui ont malheureusement échoué. Et mon père, Otto de Habsbourg, était un grand ami de la France, où il venait très souvent. Entre la France et la Hongrie, une vaste tâche s’impose: mieux nous connaître, mieux nous comprendre, œuvrer en commun à l’avenir de l’Europe. C’est animé par cet état d’esprit que je me consacrerai à ma mission.